Chauffe Marcel

29/04/2023

"CHAUFFE MARCEL!" ou la véritable histoire d'un gimmick, élevé au rang d'expression populaire.

Dans les années 60, l'expression "chauffer" tout comme "pulser" permettait aux musiciens d'exprimer un état proche de la transe que produisait l'unisson rythmé des instruments, principalement dans les musiques pop, british beat ou rhythm'n'blues qui sont arrivées en France au milieu des années 60. A cette époque où l'accordéon était souvent relégué au rang des instruments ringards, on trouvait très kitsch d'associer le mot "chauffer" au prénom "Marcel", prénom symbolisant l'allure franchouillarde qu'affectent, il est vrai, certains instrumentistes de bals.

C'est quelques années avant cela que sont entrées en scène deux sympathiques figures de la chanson, volontairement kitsch et franchouillardes, habillées comme des employés du gaz, nommées Dupont et Pondu, de leurs vrais noms Olivier Chasseloup et Jean-Louis Walmond. Tout en écumant le circuit des cabarets, ils se forgent un répertoire fleurant bon les traditions, les petits métiers et les situations "bien de chez nous". « Nous les barbouzes », « Reviens dans ma cuisine », « Dupont twist » ou leur version revisitée de « Juanita banana » constituent leur ordinaire musical, un ordinaire devenu, le recul aidant, carrément surréaliste !

Dans l'un de ces lieux, si formateurs en leurs temps de talents divers et variés, nommé "Chez Bernadette", ils se font remarquer par René-Louis Lafforgue, lequel ne reste pas insensible aux "Chauffe Marcel !" dont nos deux compères usent sans modération pour pimenter leurs parodies de chansons. Et c'est à ce moment que l'histoire prend un tournant carrément inattendu.

De son côté un ex-élève ingénieur chevelu et contestataire, ayant connu un succès foudroyant début 1966 avec une chanson inspirée d'un titre de Bob Dylan, intitulée « Les élucubrations d'Antoine », semble connaître quelques problèmes avec son groupe attitré justement nommé "Les Problèmes". Après « Les Élucubrations » qui égratignaient entre autre Yvette Horner, sont venues « Les contre-élucubrations problématiques ». Dans cette cette chanson en forme de règlement de compte les Problèmes se moquent de leur "patron" Antoine, focalisant sur ses (déjà) célèbres chemises à fleurs. Au 45 tours suivant Antoine riposte en chantant « Je dis ce que je pense et je vis comme je veux », en utilisant le mot de Cambrone en guise de conclusion. C'est alors que les Problèmes, devenus subitement "Les Charlots" enfoncent le clou et consomment le divorce qui était dans l'air avec « Je dis n'importe quoi, je fais tout ce qu'on me dit », fin 1966, premier pastiche de leur longue série. Dans cette oeuvre marquante, pour ne pas dire majeure, on entend entre autres "Chauffe Marcel !" lancé avec l'accent berrichon par Luis Rego au début du solo d'accordéon assuré par Phil (Gérard Filipelli). L'expression en question n'est pas utilisée innocemment puisque le 45 tours original arbore ce "Chauffe Marcel" imprimé en rouge en haut à gauche de la pochette.

Seulement voilà, il s'agirait de rendre à César ce qui n'appartient pas tout-à-fait à l'ancien prestidigitateur Christian Fechner, devenu l'avisé producteur d' Antoine, puis des Charlots, et qui se muera par la suite en producteur de cinéma. C'est que "Chauffe Marcel" revient de droit à Dupont & Pondu, qui en avaient eu l'utilisation antérieure sur les scènes de cabarets, comme nous l'avons vu plus haut. Les dépôts de droits à la Sacem en attestent,

En réplique à cela Dupont & Pondu enregistrent début 1967: « Chauffe Marcel ». Le texte y est très humoristique comme toujours, mais comporte quand même une pointe d'amertume: "Y'a un directeur artistique qui nous a dit qu'c'était très bien, il nous a piqué notre musique, il nous a fauché notre refrain !". Le refrain en question c'est: "Chauffe Marcel, chauffe mon gars, yé yé yé...", chanté aussi avec l'accent du terroir et qui allait devenir le succès de leur carrière

Et ainsi ce "Chauffe Marcel", né du quotidien d'un duo hélas quelque peu retombé dans l'oubli, a été employé à l'envi par tout un chacun mais s'est aussi retrouvé incorporé en 1968 dans une production de prestige, à savoir "Vesoul", chanson dans laquelle Jacques Brel en transe ou dans un état assez proche, invective Marcel Azzola d'un "Chauffe Marcel" on ne peut mieux venu ! Le temps qui se fait un plaisir à aplanir, voire à brouiller les choses, fait qu'on aurait tendance à attribuer la paternité de cette expression-gimmick à Jacques Brel ou bien aux Charlots, il n'en est rien... Bienvenue dans la légende aux émérites Dupont & Pondu !

M.G. "Le Justicier Masqué"

 

Dupont & Pondu
45 tours original de Dupont & Pondu, 1967

 

Charlots
45 tours des Charlots, 1966


A propos

L'Usine à Sons, hier qu'est-ce que c'était ? Un espace muséographique qui retraçait de façon interactive l'histoire du disque, de la radio et du son enregistré. Avec, sur 600 m². des expos permanentes et temporaires racontant cette extraordinaire aventure, depuis l'invention en 1877 par Charles Cros et Edison jusqu'au son numérique. Le tout était présenté dans une ancienne usine de coutellerie, et a accueilli des milliers de visiteurs du premier juillet 2003 au 30 septembre 2009.
L'Usine à Sons aujourd'hui existe de façon virtuelle, grâce à ce blog qui vous permet de naviguer dans les documents et articles de l'époque, notamment en écoutant l'audioguide.
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